Histoire et principes de la « délégation d’assurance »

Parler de « délégation d’assurance » implique naturellement d’évoquer le droit. Contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là, la législation en matière d’assurance emprunteur est très claire. La loi ne vous oblige nullement à souscrire une garantie emprunteur. Mais, parallèlement, cette même loi n’interdit pas aux banques de refuser la mise en place de votre financement si vous ne souhaitez pas vous assurer. Au fond, tout cela est bien français ! Retraçons l’histoire en rappelant les grandes étapes législatives qui ont conduit, ces dernières années, à la formidable et inespérée libéralisation de ce juteux marché avec la loi Lemoine (la seule qui compte désormais) !

1er round : la Directive Lagarde

Marché presque exclusivement détenu par les banques jusqu’en 2010, la Directive Lagarde (du nom de l’ancienne ministre de l’Economie sous le gouvernement de François Fillon) est venue en changer la donne à compter du 1er septembre 2010. En effet, les articles L312-8 et L312-9 du Code de la Consommation (qui sont nés de la transposition en droit français de la directive européenne « CCD – Consumer Credit Directive ») ont introduit la possibilité pour les particuliers d’opter pour le contrat individuel de leur choix pour garantir leur prêt.

Première entaille dans ce secteur historiquement verrouillé, cette Directive a, toutefois, connu un succès mitigé car le grand public est resté assez mal informé sur son contenu, ses applications concrètes, ses conséquences et, parfois, sur son existence même. Par ailleurs, si ce texte a entrouvert la porte à la délégation d’assurance, il n’a malheureusement pas donné la possibilité aux emprunteurs de changer de contrat après la signature de leur offre de prêt. Fâcheux…

2ème round : la loi Hamon

Afin de renforcer la Directive Lagarde, le législateur a inclus dans la loi Hamon (du nom de l’ancien ministre délégué à l’économie sociale & solidaire et à la consommation sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault) un important volet dédié à la garantie emprunteur. Dès lors, deux cas de figure sont apparus selon la date à laquelle le contrat de prêt a été signé par le Client.

Les délégations d’assurance pour les contrats de prêt signés après le 26 juillet 2014.

Pour tous les contrats de prêt signés après le 26 juillet 2014, c’est la loi Hamon qui, devenue une référence, a encadré la faculté de résiliation de ce type d’assurance (loi n° 2014-344 parue au Journal Officiel le 18 mars 2014). Elle a donné la possibilité à l’emprunteur de changer d’assurance sans frais ni pénalités dans les 12 mois qui suivaient la signature de son offre de crédit immobilier (article L312-9 du Code de la Consommation). Pour être très exact, cet abandon de l’assurance groupe de la banque devait intervenir 15 jours au plus tard avant le terme de ces 12 mois. Seule obligation – toujours d’actualité d’ailleurs – la nécessité pour le Client de proposer un contrat doté d’un niveau de garanties équivalent ou supérieur à celui de l’établissement prêteur (ce dernier pouvant s’opposer à la demande de substitution en cas de non respect de cette clause).

C’est ainsi que dès la publication de cette loi, les banques ont subitement assouplis leur position soit en baissant leurs tarifs – pour être plus compétitives – soit en acceptant « bon gré, malgré » un contrat en déliaison. Cela ne s’est pas fait sans mal puisque sont apparus des phénomènes aussi curieux qu’étranges comme la facturation de frais dits « de délégation » ou le rehaussement injustifié du taux du crédit (les deux étant strictement interdits par la loi). Certaines banques se sont même lancées dans une course effrénée au « toujours plus de garanties » au sein de leurs contrats pour espérer distancer les compagnies d’assurance délégataires et opposer conséquemment un refus au Client en prétextant l’iniquité de la couverture. Ben voyons.

C’était sans compter sur la réplique règlementaire (notamment du CCSF – Comité Consultatif du Secteur Financier qui a rendu un avis en date du 13/01/2015), réplique qui s’est traduite par la création et la mise en place d’une liste de critères limitatifs permettant au consommateur de connaitre sans ambigüité les garanties susceptibles de lui être imposées par les banques.

Concrètement, cette liste – toujours en vigueur – se compose de 18 items relatifs aux garanties décès, invalidité, incapacité et de 8 items supplémentaires concernant l’option perte d’emploi (option appelé aussi « garantie chômage »). Chaque banque doit aujourd’hui encore sélectionner dans ladite liste au moins 11 critères pour le décès, l’invalidité, l’incapacité et 4 critères pour la perte d’emploi le cas échéant. Cette liste fixe ses exigences minimums pour accepter une assurance de crédit émanant d’un assureur tiers (qui doit donc contenir, au minimum, les mêmes garanties que celles retenues par la banque).

Théoriquement, votre banque doit vous communiquer cette liste en même temps qu’elle vous remet l’offre préalable (c’est-à-dire les Conditions Générales de son produit d’assurance groupe, le projet d’assurance adapté à votre profil et votre besoin, la fiche d’information standardisée) afin de vous faciliter la recherche d’un contrat alternatif. C’est, par ailleurs, l’unique référentiel autorisé pour motiver un éventuel refus.

Pour visualiser cette liste de critères appelée aussi « liste de place » ou « liste des équivalences » et découvrir la manière de vous en prévaloir, veuillez cliquer ici.

Les délégations d’assurance pour les contrats de prêt signés avant le 26 juillet 2014 (ou contrats signés après cette date mais datant de plus de 12 mois).

Sous l’ère de la loi Hamon, il était illusoire de penser pouvoir sortir de l’assurance groupe de la banque pour tous les prêts immobiliers signés avant le 26 juillet 2014 (ou signés après cette date mais âgés de plus 12 mois). Pour y échapper malgré tout, certains Clients épaulés par quelques cabinets d’avocats zélés ont invoqué le droit à résiliation annuelle en s’appuyant sur l’article L113-12 du Code des Assurances. Ce texte, d’ordre public, a donné la faculté de rompre tout contrat d’assurance (sauf les contrats d’assurance vie), chaque année, à la date anniversaire de ces derniers.

Certains tribunaux ont considéré que ce droit s’appliquait y compris aux contrats d’assurance emprunteur (différents arrêts de cours d’appel sont allés dans ce sens). Cependant, les banques ont lutté avec vigueur contre de telles décisions de peur, vraisemblablement, de voir l’ensemble du marché de la garantie emprunteur leur échapper et ceci de manière rétroactive. Elles ont systématiquement mis en avant le fait que le contrat d’assurance emprunteur était un contrat mixte à la fois d’assurance sur la vie et d’assurance dommages (caractéristiques juridiques différentes).

Il convient, toutefois, de noter que quelques établissements prêteurs ont accepté au coup par coup la demande de résiliation de certains de leurs Clients qui ont parfois poussé la procédure jusqu’à la Cour de Cassation…

3ème round : l’amendement Bourquin (au sein de la loi Sapin 2)

D’abord retoquée pour une question de forme par le Conseil Constitutionnel (fin d’année 2016 car jugée divergente de l’esprit même du texte), la loi Sapin 2 a trouvé un nouvel écho en l’amendement Bourquin (du nom du sénateur œuvrant au sein de la Commission des Affaires Economiques). La délivrance !

S’il ne s’agit pas d’une révolution à proprement parlé, cet amendement vient, cependant, parachever l’œuvre initiée par les lois Lagarde et Hamon. En effet, à compter du 1er janvier 2018, il devient tout simplement possible de résilier son contrat d’assurance emprunteur groupe (autrement dit le contrat de couverture souscrit auprès des établissements prêteurs…comme cela est encore le cas dans 85 % des situations) chaque année et ceci de manière antérieure au profit d’un contrat en délégation. Au fond, il ne s’agit ni plus ni moins que de l’alignement du marché de l’assurance crédit sur celui de l’IARD (assurance habitation, assurance auto, assurance moto dont les contrats peuvent être résiliés librement à date anniversaire).

Attention toutefois au formalisme…

Tout d’abord, il convient d’adresser une demande de substitution assortie d’un préavis de 2 mois (2 mois avant la date anniversaire de signature de l’offre de crédit en cas d’assurance groupe ou 2 mois avant la date de signature du contrat d’assurance extérieure en cas d’assurance déléguée). Ensuite, les banques disposent d’un délai de 10 jours ouvrés (c’est-à-dire 10 jours ouvrables effectivement travaillés) à compter de la réception de votre offre alternative pour vous notifier sa décision d’accord ou de refus. Si la loi ne prévoit aucune sanction en cas de non respect de ce délai (absence de réponse par exemple…) elle prévoit, en revanche, une amende 3.000 € à l’encontre de la banque si cette dernière refuse indûment votre délégation d’assurance (article L312-32-1 du Code de la Consommation). Enfin, il convient de préciser qu’aucun frais ne peut être facturé par l’organisme prêteur ni pour résiliation ni pour substitution.

Ce changement de main des contrats – des banques vers des compagnies d’assurance alternatives ou délégataires – se caractérise par un marché estimé à près d’un milliard d’euros de primes ! Il faut rappeler que les assurances de prêt permettaient jusqu’ici aux banques d’engranger de confortables marges (jusqu’à 85 % dans certains cas). Rien que ça !

4ème round : la loi Lemoine

Remplace l’ensemble des dispositions contenues dans les textes, lois et amendements antérieurs.

L’estocade finale arrive avec la loi Lemoine (du nom de la députée de la 5ème circonscription de Seine et Marne, Patricia Lemoine) intitulée loi n° 2022-270 du 28 février 2022 pour « un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur ». Cette loi, publiée au JO le 1er mars 2022, est active depuis le 1er juin 2022 pour tout nouveau contrat d’assurance de prêt souscrit à compter de cette date et à compter du 1er septembre 2022 pour tous les anciens contrats (rétroactivité des nouvelles dispositions).

Déjà assoupli par les précédentes mesures (notamment l’amendement Bourquin), la loi Lemoine se décline en 4 grandes mesures qui devraient permettre une libéralisation totale et définitive du marché de la garantie emprunteur :

  • résiliation infra-annuelle : sous ce terme quelque peu barbare, il faut entendre la possibilité de résilier son contrat d’assurance à tout moment (c’est-à-dire au cours de la 1ère année ou après la 1ère année) et ceci sans aucun préavis. Sont concernés, ici, les crédits immobiliers ou les crédits mixtes (immobiliers & professionnels). Les prêts personnels ainsi que les prêts consommation bénéficiaient déjà d’un tel protocole. En terme de formalisme, la résiliation peut se faire par tout moyen (courrier LRAR, mail, via l’espace sécurisé de votre banque, etc…), sachant que la banque, de son côté, doit éditer l’avenant connexe dans les 10 jours qui suivent la demande. Attention, cette substitution reste toujours conditionnée à l’équivalence du niveau de garanties. Autrement dit, le nouveau contrat doit se caractériser par un niveau similaire ou supérieur de garanties par rapport au contrat groupe que vous vous apprêtez à résilier. Le non respect de cette disposition peut conduire la banque à s’opposer à votre demande de changement.
  • suppression des formalités médicales : dans le but de permettre un accès à la propriété y compris pour les personnes présentant des risques aggravés de santé, la loi Lemoine vient supprimer toutes démarches médicales incluant le questionnaire de santé à autocompléter (sauf les questions éventuellement liées à la consommation tabagique ou à l’activité professionnelle). Trois conditions cumulatives doivent, toutefois, être respectées :
    • l’assurance doit concerner le financement d’un bien à usage d’habitation ou à usage mixte (habitation & professionnel),
    • le montant du crédit couvert (ou des encours de crédits immobiliers si le Client dispose déjà de ce genre de prêts) ne doit pas dépasser les 200.000 €,
    • la date de fin de crédit doit intervenir avant le 60ème anniversaire de l’emprunteur.
  • renforcement / extension du droit à l’oubli : jusqu’ici de 10 ans, le droit à l’oubli s’applique désormais dès la 5ème année de rémission d’un cancer. L’hépatite C fait désormais partie des maladies entrant dans le champ d’application de la loi. Autrement dit, les assurés qui ne peuvent se prévaloir de la suppression des formalités médicales (cf. point précédent), n’ont pas à déclarer leur pathologie s’ils en sont guéris depuis au moins 5 années (plus de traitements, plus de rechutes dans l’intervalle). En cas inverse, la Convention AERAS leur reste ouverte (pour plus d’infos à ce sujet, cliquez ici).
  • obligation renforcée d’information des Clients : les compagnies d’assurance et les banques doivent informer annuellement leurs clientèles de la possibilité de résilier leur contrat d’assurance de prêt tout en précisant les modalités d’une telle action. La notification doit se faire par tout moyen de communication durable (incluant le mail ou l’espace sécurisé qu’il convient, le cas échéant, de consulter régulièrement). Enfin, les acteurs de ce marché doivent communiquer le coût prévisionnel du contrat y compris sur les 8 premières années pour mieux éclairer les Clients notamment dans le cadre des contrats calculés sur capital restant du (se caractérisant par des primes plus élevées en début de crédit).

 

In fine, le législateur souhaite redonner le pouvoir (d’achat) aux assurés-citoyens en leur permettant de faire des économies. Selon un article d’UFC-Que Choisir, ce sont de 5.000 € à 15.000 € de gains qui peuvent être envisagés sur la base d’un simple changement d’assurance crédit (pour un prêt moyen de l’ordre de 250.000 € souscrit par un couple). Au total, ce sont plus de 500 millions d’euros qui seront économisés dès la première année. 

Retrouvez ci-après le résumé des droits et obligations de votre banque vis-à-vis de votre délégation d’assurance :

Poursuivre la lecture :

Votre banque peut / autorise / doit
Votre banque ne peut pas / n'autorise pas / ne doit pas
Demande de délégation d'assurance (à la mise en place du crédit)
Demande de substitution d'assurance (à tout moment et sans préavis)
Facturation de frais en cas de délégation ou de substitution d'assurance
Augmentation du taux du crédit en cas de demande ou de substitution de délégation d'assurance
Refus de la délégation d'assurance en cas de non respect des critères minimums exigés par la banque (équivalence des garanties)
Refus de communication à votre égard de la liste des critères figurant dans la fiche standardisée d'information ainsi que les Conditions Générales du produit d'assurance groupe de la banque
Absence ou refus de justifier un retour défavorable suite à demande de délégation
Demande par la banque de divers documents relatifs au contrat d'assurance en délégation (devis ou projet, conditions générales, FSI, attestations d'assurance…)
Modification de la liste des critères à tout moment en cas de demande de délégation d'assurance
Libre choix de la quotité de couverture (de 0 % à 100 %)